Echange avec David Boys, secrétaire général adjoint de l’Internationale des Services Publics (ISP) (*), rencontré lors d’un sommet syndical sur le climat organisé en septembre dernier par la CSI (Confédération syndicale internationale).

Boyes

Dans quel sens évoluent les discussions entre grandes centrales syndicales autour des questions climatiques ?

David Boys : Je suis surpris par le fait qu’on parle désormais beaucoup plus des dossiers de privatisations, de financement public, de gestion publique. Pour nous à l’ISP, il s’agit d’une évolution intéressante qui traduit une prise de conscience plus large que par le passé, qu’il s’agisse de syndicats de services publics comme de syndicats du secteur industriel. Alors que jusqu’à présent, il n’y avait pas forcément de consensus là-dessus… On assiste à une prise de conscience très partagée sur la question du contrôle de notre société par les multinationales : c’est entre leurs mains désormais que le pouvoir est de plus en plus concentré et non entre celles des gouvernements, des collectivités ou des syndicats. Ce qui est nouveau aussi est qu’on fasse le lien, qu’on se rende compte que les questions climatiques ne sont pas isolées des autres questions. Le changement climatique est le reflet de toutes les dérives du capitalisme. Ce qui signifie qu’on ne peut pas seulement le résoudre par des réponses techniques : ce sont bien des réponses politiques qu’il faut apporter. Ce qui oblige à tout regarder, tout considérer avec acuité : la consommation, la re-industrialisation, toutes ces questions d’envergure.

Pour le syndicalisme, s’agit-il de nouveaux enjeux ?

D. B. : Je crois que les syndicats risquent de se retrouver isolés sur ces questions s’ils n’arrivent pas à tisser des liens et à former des alliances dans la société. A l’ISP nous consacrons beaucoup de temps à essayer d’élargir nos relations avec la société civile et ses acteurs pour élaborer des solutions communes. Ce qui signifie qu’il faut que nous écoutions les autres, que nous sortions de notre vocabulaire syndical parfois très pointu… L’enjeu est de constituer une base sociale et politique suffisamment large pour contrer la puissance des multinationales. Il va nous falloir être attentifs et vigilants quant à nos propres corporatismes.

Comment traduire les enjeux climatiques en revendications voire en rapport de forces ?

D. B. : Les salariés demandent-ils à ce que le climat soit une question de premier plan ? Non. Ils demandent que nous intervenions pour améliorer leurs salaires et leurs conditions de vie et de travail. Joao Felicio, le président de la CSI (Confédération Syndicale Internationale) disait pendant ce colloque : « Les syndicats sont tellement corporatistes qu’ils ne regardent pas assez loin dans le futur. » Nous devons être conscients de la dynamique dans laquelle nous nous trouvons. Pour les syndicats, il s’agit de travail, de salaires, d’emplois et cette dynamique n’est pas forcément axée sur la longue durée, sur quinze ou vingt ans. La question que les syndicats se posent est plutôt : que fait-on demain… Comment traduire les questions climatiques dans un temps immédiat ? Nous savons que pour certains, comme à Vanuatu (1), la question se pose déjà. Aux Philippines également. Sauf que ce ne sont pas ces pays-là qui imposent les agendas internationaux. Que faire vis-à-vis de nos syndiqués ? Faut-il laisser à une ONG comme Greenpeace le soin d’animer les débats sur le climat ? Nous sommes en mesure d’expliquer que la bataille climatique est en lien direct avec l’emploi et les conditions de travail. Que cette question est celle de notre futur en tant qu’humanité, c’est-à-dire le futur de nos enfants et de nos petits-enfants. Ce qui nous oblige à sortir de nos structures quotidiennes, pour quelque chose de plus grand. C’est absolument nécessaire.

(*) L’ISP regroupe 20 millions d’adhérent(e)s dans 669 syndicats présents sur 154 pays et territoires.

(1) Le Vanuatu, situé en Océanie, est un archipel composé de plus de 80 îles. Certaines sont d’ores et déjà menacées par une hausse du niveau de la mer due au réchauffement climatique.