Ils et elles sont jeunes, déterminé.es, portent les valeurs fortes du service public et sont en lutte depuis plus d’un mois à travers toute la France. Rencontre dans les Yvelines avec celles et ceux qui font la une les jours de tempêtes.

Depuis le mois d’avril, à travers tout le pays, dans le silence assourdissant des médias nationaux, celles et ceux qui font la une quand le réseau est à terre sont entré.es en lutte pour le service public de l’énergie. Près de 250 unités Enedis, GRDF ou mixtes sont actuellement dans le mouvement, en grève ou occupées.

À Maurepas, sur une avenue un peu morne au cœur de l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, juste en face de la caserne des pompiers, les grilles et le bâtiment du centre de distribution Enedis ont pris des couleurs : banderoles, panneaux, ou camions bleus en épis ne laissent pas indifférent.es les automobilistes qui saluent régulièrement le piquet de grève par des coups de klaxons encourageant. Les agent.es entament, ce vendredi 22 juin, leur onzième jour de grève.

Les agent.es portent des revendications nationales et locales. ©Bertrand de Camaret/CCAS

Des bobines de câble font office de tables, et une piscine gonflable apporte détente et rafraîchissement, une sono, une batterie faite de bidons et d’isolateurs pour l’expression artistiques. Côté restauration, un four électrique et un « barbeuk ». Le dossier agricole n’est pas en reste : un carré de pieds de tomates baptisé « jardin ouvrier », et deux poules pondeuses dorlotées et productives. Le piquet de grève est plutôt calme et serein, mais parfaitement déterminé, tenu avec régularité par la « génération Y » des Industries électriques et gazières : « Nous revendiquons la ré-internalisation des travaux, l’embauche des CDD et des intérimaires, l’abandon du projet de « réforme » des astreintes et 4 NR d’augmentation immédiate », égrène Morgan, 31 ans, technicien intervention réseau et tout jeune secrétaire du syndicat CGT Énergie 78.

24 heures sur 24 et 7 jours sur 7

Ici, c’est un peu l’hôpital de l’énergie, avec son service des urgentistes de l’élec’ : dépannages interventions sur le réseau, urgences sur incendies ou accidents de la route impliquant une installation, rétablissement d’alimentation ou, hélas, coupures pour impayés, branchements interventions sur poste. Le tout, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Tel est le quotidien de la soixantaine d’agent.es de l’unité, qui œuvre sur un rayon géographique qui comprend l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, une partie de la vallée de Chevreuse jusqu’à la frontière de l’Essonne d’un côté, et de l’Eure-et-Loir de l’autre. « Cet hiver, on a fait face à la tempête, aux inondations et à la neige. Dans ces moments-là, qu’on soit d’astreinte ou pas, tout le monde est sur le pont… et à la une des médias », poursuit Morgan.

La réforme des astreintes projetée par Enedis pourrait porter un coup sensible au pouvoir d’achat des agent.es, déjà étrillé lors des dernières négociations de branche, autour du salaire national de base (SNB) : « je suis rentré à Enedis il y a un peu plus de cinq ans, raconte Wilfried, 32 ans, après une période dans le privé comme électricien du bâtiment. Je suis actuellement en GF 4, NR 75. Autant dire que sans les astreintes, je ne vais pas bien loin. Mais notre lutte d’aujourd’hui, c’est autant pour les salaires que le service public. L’égalité de traitement, le service à la population c’est notre éthique de métier. Moi, je suis disponible 24 heures sur 24 pour n’importe quel client, explique Wilfried, et cela compte beaucoup pour moi. Alors, quand je lis qu’EDF et Engie servent 64 milliards d’euros à leurs actionnaires, que Total veut racheter des barrages pour verdir son bilan carbone, et qu’on songe à vendre à Vinci ou à d’autres sous-traitants le travail du service public, alors même que 13 millions de Français.es sont en situation de précarité énergétique… Eh bien, c’est tout simplement révoltant ». Les conditions du déploiement du compteur Linky, confié à 80% à la sous-traitance, combinées aux « remontées » hostiles des usagers, ont également marqués les esprits : « C’est clair que l’image du service public en a pris un coup, affirme Wilfried ».

« Ici, le salaire d’embauche est à 1200 euros »

« Ici, explique Cédric, 35 ans, préparateur et technicien d’exploitation, c’est le service public de proximité. Les agent.es d’astreinte vivent parfois plus avec leurs collègues qu’avec leurs familles. Alors, la dégradation continue du service public, on la voit et on la ressent clairement. Les 2500 suppressions d’emplois programmées par la direction d’Enedis d’ici 2021, signifie concrètement devoir renoncer à un dépannage, laisser quelqu’un dans le noir ou le froid, voir les branchements se faire par la sous-traitance et, lentement mais sûrement, constater sur le terrain le recul du service public : ça fait mal », résume Cédric. « On n’a pratiquement plus de temps de réaliser des contrôles préventifs sur le réseau, et les moyens se restreignent sur le curatif. Tout cela pèse beaucoup sur les salarié.es. Ici, le salaire d’embauche est à 1200 euros. Les réorganisations locales – changement de bureau ou d’étages – viennent sans arrêt remettre en cause les collectifs de travail ».

Voilà une des dimensions de ce mouvement qu’on aurait tort de négliger, et qui est sans doute l’une des clés du conflit : l’espace de plus en plus restreint laissé à ces collectifs de jeunes professionnels, compétents et souvent aguerris, pour faire vivre une certaine idée du service public qu’ils et elles ont soif de mettre en œuvre, et que peinent à contenir les recettes du managériat libéral. Inédit depuis au moins dix ans, ce mouvement revendicatif, quelle qu’en soit l’issue, marquera à l’évidence une génération de jeunes gazier.ères et électricien.nes.