Pôle économique CGT

Note CGT suite à la note produite par le service économique de Natixis

Plusieurs données le confirment : les politiques d’inspiration libérale, mises en place en France et dans les autres pays en Europe et dans le reste du monde, sont source de souffrances pour le monde du travail et alimentent les inégalités. Et cette réalité est de plus en plus reconnue, y compris dans les rangs des libéraux et des milieux d’affaires.

Ainsi, avec un titre provocateur, une note récente du service économique de Natixis – banque d’affaires, filiale de BPCE – pose la question suivante : Peut-il y avoir « révolte des salariés » ?, (Flash Economie, n° 942, 18 août 2017).

Le titre pourrait donner à penser que les financiers s’intéresseraient désormais au sort des travailleurs. En la lisant, on voit clairement qu’elle vise à mieux défendre les intérêts des financiers. En effet, la situation est tellement grave, la pression sur le monde du travail est tellement forte, que les experts de la banque d’affaires commencent à s’inquiéter non pour les salariés, mais pour les financiers dont les intérêts sont menacés à cause du risque d’une implosion du système.

Constats pertinents et conclusion erronée

Le message de la note est clair : dans leurs propres intérêts, « les investisseurs doivent aussi se poser des questions politiques et sociales. »

Pour qui connaît l’histoire du capitalisme, cle message n’est pas sans précédent. On peut citer, pour ces dernières années, Georges Soros, le célèbre financier et spéculateur américain, ou encore Alain Greenspan, l’ex-président de la Banque centrale américaine dénonçant « l’exubérance des marchés financiers ». Mais l’avertissement de Natixis n’est pas sans importance au moment où l’équipe Macron-Philippe multiplie les attaques contre le monde du travail.

Les constats dressés par l’auteur de la note rejoignent largement ceux développés par des économistes dits hétérodoxes, tout comme par la Cgt : la hausse des inégalités des revenus, la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital, la hausse de la pauvreté, la faible hausse du salaire réel (c’est-à-dire le salaire déduction faite de la hausse des prix), la hausse de la fiscalité sur les ménages.

La liste n’est pas complète. En particulier, l’auteur néglige la contrepartie de ces évolutions, à savoir la financiarisation et la hausse du coût du capital qui en résulte.

Fait remarquable, la note montre, entre autres, que depuis le début des années 2000, dans les pays de l’OCDE la productivité du travail par salarié augmente nettement plus vite que le salaire réel. Dans le cas de la France, cela se traduit par le fait qu’en trente ans le ratio revenus de propriété dont les dividendes / masse salariale est multiplié par quatre.

Source : Natixis

 

Source : pôle éco, cgt, calcul nmg à partir de l’Insee

L’auteur de la note de Natixis craint une « révolte » des salariés qui prendrait « la forme de la revendication de hausses fortes des salaires ».

Pour l’auteur de la note, on se dirigerait alors vers une catastrophe : « La ‘révolte’ des salariés conduirait à de graves déséquilibres financiers. La ‘révolte’ des salariés, prenant la forme d’une hausse rapide des salaires, conduirait alors : au redressement de l’inflation et de l’inflation anticipée, en conséquence, au redressement des taux d’intérêt. Le redressement des taux d’intérêt serait évidemment défavorable : aux détenteurs d’obligations et aux emprunteurs, c’est-à-dire aux États, aux entreprises, mais pas aux ménages qui bénéficieraient de la hausse des salaires ».

La conclusion de la note est la suivante : « Pour savoir s’il peut y avoir un retour des hausses fortes de salaires, de l’inflation, de hausses fortes des taux d’intérêt, de pertes pour les détenteurs d’obligations, de difficultés pour les États et les entreprises, les investisseurs doivent se poser une question politique et sociale centrale : peut-il y avoir dans le futur révolte des salariés dans les pays de l’OCDE conduisant à une hausse brutale des salaires. »

A l’origine de nos difficultés : la dévalorisation du travail et son corollaire, la financiarisation de l’économie

La conclusion de la note de Natixis correspond au discours libéral. Les salariés connaissent bien les conséquences désastreuses de ce discours, pour l’avoir vécu dans leur vie quotidienne.

Les constats dressés plus haut résultent d’une dévalorisation du travail pendant plusieurs décennies. Intitulée « désinflation compétitive », cette dévalorisation prend plusieurs aspects : « modération salariale », développement de la précarité, remise en cause des acquis sociaux, dégradation des conditions de travail… A l’œuvre depuis plusieurs décennies, cette stratégie est présentée par le patronat, les libéraux et les gouvernements successifs comme étant indispensable pour améliorer la compétitivité, réduire le chômage et résorber le déficit du commerce extérieur 1. Le dernier épisode en a été « la politique de l’offre » mise en œuvre sous la présidence de François Hollande 2 ; politique promue par l’actuel président de la République, à l’époque, proche conseiller de l’ancien président.

Les premières mesures mises en œuvre ou en cours de préparation par l’actuelle équipe au pouvoir vont dans le même sens, qu’il s’agisse du démantèlement du code du travail, du basculement d’une partie des cotisations sociales des salariés vers la CSG au nom du pouvoir d’achat 3 ou encore de la transformation de l’ISF en « impôt sur la fortune immobilière » (IFI) et l’instauration d’un « prélèvement forfaitaire unique » (PFU) sur les revenus du capital 4.

La hausse des salaires, un élément indispensable d’une stratégie globale pour un nouveau mode de développement économique et social

Les mesures citées plus haut s’inscrivent dans une logique de dévalorisation du travail car elles sont fondées sur l’idée selon laquelle la protection des travailleurs découragerait « investisseurs » et « entrepreneurs », alors que, selon cette conception, pour dynamiser l’économie, il faut les encourager.

La contrepartie de cette dévalorisation du travail, de cette déflation salariale, est la financiarisation de l’économie, la hausse du coût du capital, la désindustrialisation et l’affaiblissement du potentiel productif du pays.

Sans tenir compte de ces deux évolutions parallèles (dévalorisation du travail = financiarisation), on risque de se tromper de remède. C’est effectivement le cas de la note de Natixis qui considère la hausse des salaires comme une menace pour l’économie.

L’argument avancé dans cette note pour s’opposer à l’augmentation des salaires est que celle-ci conduirait à une hausse des prix et des taux d‘intérêt, avec des effets négatifs sur les entreprises, les épargnants et l’état. Selon l’auteur, la hausse des taux d’intérêt réduirait l’investissement des entreprises. Elle entraînerait aussi une baisse des prix des obligations sur les marchés financiers, pénalisant ceux que la note de Natixis appelle « ménages ». Enfin, elle alourdirait les charges d’intérêt de la dette de l’état. Selon l’auteur, les salariés endettés ne seraient pas pénalisés car la hausse des salaires compenseraient, pour eux, la hausse des charges d’intérêt de leurs dettes.

Cet enchaînement purement théorique est loin d’être vrai

Tout d’abord, il pose un problème de diagnostic. En effet, ce raisonnement part du point de vue patronal selon lequel la hausse des salaires est en soi un problème. Et c’est là que le bât blesse. Et tant que cette vision domine les choix de politique économique et de gestion des entreprises, nous ne sortirons pas du cercle vicieux de déformation du partage de la valeur ajoutée au-détriment du travail avec ses corollaires, la hausse des inégalités, la désindustrialisation et la faiblesse de l’activité économique.

Ensuite, son analyse du rôle des taux d’intérêt dans le fonctionnement actuel de l’économie est discutable. Actuellement, le niveau des taux d’intérêt est très bas. En particulier, les banques peuvent emprunter auprès des banques centrales aux taux proches de zéro. Pour autant, les crédits en faveur de l’emploi et de l’investissement productifs n’augmentent pas suffisamment, surtout en direction des PME, et l’activité économique demeure faible. En revanche, l’argent alimente les marchés financiers, produisant des bulles financières qui peuvent éclater à tout moment et déclencher une nouvelle crise financière, autrement plus grave que celle de 2008.

Dans cette configuration explosive, sans faire le lien avec la hausse des salaires, la plupart des observateurs attendent une remontée des taux d’intérêt. C’est dire à quel point il est erroné de s’opposer à l’augmentation des salaires au motif qu’elle conduirait à la hausse des taux d’intérêt. Le vrai enjeu demeure l’usage qui est fait de l’argent.

Il est autant erroné de s’opposer à l’augmentation des salaires au motif qu’elle engendrerait une hausse de l’inflation.
Le taux d’inflation est faible depuis plusieurs années déjà. Cette faible inflation est obtenue sur le dos des salariés, en exerçant une pression permanente sur le monde du travail. C’est ce que montre le décalage entre la productivité et le salaire réel, évoqué plus haut. Pour sortir de cette situation, il est indispensable, entre autres et surtout, d’augmenter les salaires 5.

Et c’est possible, car chaque année on crée plus de richesses en France, mais ces richesses supplémentaires vont largement vers les profits et les hauts revenus : depuis le début du siècle, la moitié des richesses supplémentaires créées en France est orientée vers les 10 % les plus riches. Et la France demeure championne de la distribution des dividendes en Europe, devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Pour sortir du cercle vicieux de déflation, il est aussi indispensable de développer les moyens de production, de réindustrialiser et de renforcer la capacité productive du pays, sinon le surcroît de demande engendré par la hausse des salaires conduira à une augmentation des importations, un accroissement du déficit du commerce extérieur et/ou une inflation plus importante, comme cela a été le cas au début des années 1980.

Il est donc indispensable, parallèlement à la hausse des salaires, de prendre des mesures pour reconquérir l’industrie et développer les services de qualité pour répondre aux besoins.

A travers leurs campagnes, contre le coût du capital, pour la reconquête de l’industrie et des services publics, pour les 32 heures, etc., la Cgt et ses organisations portent des revendications pour répondre à ces exigences. La réforme du code du travail que l’équipe Macro-Philippe veut imposer par voie d’ordonnance vise à dévaloriser le travail. D’où l’enjeu de la journée d’action et de mobilisation du 12 septembre pour s’opposer à cette dévalorisation du travail.

1 Pour une explication détaillée de la politique de désinflation compétitive voir, par exemple, Nasser Mansouri-Guilani, L’économie française en dix leçons, Les Éditions de l’Atelier, 1999.
2 Voir « Avec le pacte de responsabilité, François Hollande fait fausse route », L’Humanité, 14 janvier 2014
3 Voir le communiqué de la Cgt daté du 25 août 2017.
4 Voir le communiqué de la Cgt daté du 15 juillet 2017.
5 Voir Nasser Mansouri Guilani, « Face au risque de déflation, une seule solution : rompre avec l’austérité », Note économique, n° 142, 2014.