Des choix clairement en faveur du capital.
Dans son entretien accordé au magazine Le Point, le président d la République confirme clairement les orientations qu’il avait peaufinées pendant la campagne présidentielle.
Le jour de la parution de cet entretien, le gouvernement dévoilait les ordonnances relatives à la loi travail.
La concordance des propos du Président, du Premier ministre et du ministre du Travail confirme que le pouvoir en place se positionne du côté du capital.
Cette note se limite à examiner quelques aspects économiques évoqués dans cet entretien.
Choix biaisés à partir d’arguments apparemment de bon sens.
Sur les questions économiques, les raisonnements de M. Macron sont fondés sur un argument apparemment de bon sens : « on a besoin du capital dans l’entreprise ».
Cet argument constitue aussi le sous-bassement des orientations économiques de la nouvelle équipe au pouvoir.
Peu de gens pourraient nier qu’ « on a besoin du capital dans l’entreprise ». La question est de savoir ce qu’on entend par « le capital ».
En dernière analyse, deux conceptions s’opposent en la matière.
Une première conception considère le capital comme une somme d’argent qu’on peut réunir de différentes manières, y compris par exemple à travers un « Fonds financier public ». Dans ce cas, l’objectif prioritaire est de répondre aux besoins socio-économiques, l’argent (quelle que soit son origine) n’étant qu’un moyen pour y parvenir.
Une seconde conception aborde le capital sous l’angle des intérêts des détenteurs de capitaux. Selon cette conception, l’entreprise ne peut vivre sans l’apport des « actionnaires », parmi lesquels, principalement, les riches. Dès lors, pour le bon fonctionnement du système, il faut commencer par donner la priorité aux attentes des détenteurs de capitaux et des riches.
L’entretien du président de la République, tout comme les premières mesures décidées par le gouvernement confirment que le nouveau pouvoir partage la seconde conception.
Choix d’une société inégalitaire
Le « modèle de société » que prône le président de la République est fortement inégalitaire. Et cette inégalité est justifiée en arguant qu’il faut reconnaître et récompenser « les talents » : « On peut discerner à l’avenir quatre grandes fonctions économiques. La première sera d’apprendre, et ce tout au long de la vie. La deuxième sera de produire des biens industriels ou des services. La troisième sera de créer et d’innover, et cette activité sera d’ailleurs la mieux récompensée, car la moins reproductible. Enfin, il faut reconnaître dans le champ productif les activités d’aide et d’entraide, essentielles dans une société où les liens se distendent. Pour réussir dans ce monde, nous avons donc besoin d’une économie beaucoup plus plastique, plus mobile, qui laisse chacune de ces quatre fonctions économiques se développer et chaque individu évoluer d’un secteur à l’autre, selon ses souhaits ou ses impératifs. C’est tout l’esprit de la réforme globale que nous mettons en œuvre. »
Séparer, dans le processus productif, deux actes – d’une part la production des biens industriels et des services, et d’autre part la création et l’innovation – n’est pas anodin.
Nul besoin de rappeler qu’avec les nouvelles technologies, la production des biens et des services est plus que jamais liée à la création et à l’innovation. Pourquoi alors M. Macron les sépare-t-il ? Sans doute parce qu’il veut diviser la société, et en son sein le monde du travail, en deux catégories : « les talentueux » et « les autres ». Selon cette classification, il faut surtout veiller à ce que les talentueux soient bien « récompensés ».
Une telle vision de société n’est pas originale. On retrouve ses ingrédients auprès des tenants des « nouvelles théories de la croissance ».
Cette vision de société est compatible avec le libéralisme économique et avec la thèse schumpétérienne de « destruction créatrice » selon laquelle l’économie évolue dans un processus permanent de disparition de certaines activités et entreprises et de l’apparition d’autres. En quelque sorte, une vision darwinienne de l’évolution économique.
Le raisonnement de cette conception de société est la suivante : il faut promouvoir les « talents » et tout faire pour qu’ils réussissent ; cela permettra à ces talents de gagner beaucoup d’argent ; on pourra alors leur demander un « effort de solidarité » : l’argent qu’ils gagnent permettra d’irriguer le reste de l’économie.
Fait important : généralement, cette conception range les détenteurs de capitaux, les riches parmi les talentueux.
- Macron avait déjà présenté cette vision de société en d’autres termes et à d’autres endroits. Par exemple, lorsqu’en qualité du ministre de l’Economie, il disait aux jeunes banlieusards que pour se payer un costard, il fallait travailler ; ou encore lorsque, en qualité du Président de la République, il regroupait les passagers d’une gare en deux catégories : ceux qui réussissent et les autres, les riens.
L’un des mots d’ordre d’une telle vision de société est « l’égalité des chances ». Selon les adeptes d’une telle vision de société, sous réserve de réunir les conditions pour assurer cette « égalité », les inégalités sont normales et s’expliquent par le fait que ceux qui réussissent sont les talentueux qui travaillent bien. Quant aux autres, « les ratés », ils n’ont qu’à faire comme les talentueux !
Réduire les droits des travailleurs ne permet pas de créer des emplois, au contraire
Nous ne reviendrons pas dans cette note sur ce sujet. La Cgt a déjà produit de nombreux documents en la matière.
Précisons cependant que l’argument selon lequel la réforme du code du travail et la réduction des droits protecteurs des salariés seraient nécessaires pour lutter contre le chômage n’a aucun fondement pertinent [1].
Qui plus est, l’expérience montre que faciliter les licenciements conduit à une hausse du chômage, au moins dans un premier temps.
Des cadeaux fiscaux pour les entreprises et les riches
Pour « compenser » l’innovation et le talent, le président de la République et son gouvernement multiplient les cadeaux destinés aux détenteurs de capitaux et aux riches :
- « le relèvement forfaitaire unique de 30 % remplace tous les impôts et charges sur les revenus du capital. »
- « supprimer l’ISF pour les investissements dans l’économie réelle, en particulier dans les entreprises »,
- Baisser « l’impôt sur les sociétés, au cours du quinquennat, jusqu’à 25 % »…
A cela il faut ajouter la transformation du CICE en exonération de cotisations sociales des employeurs. Rappelons que le CICE coûte chaque année 20 milliards aux contribuables et rapporte autant aux entreprises [2].
Au total, le prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital, la transformation de l’ISF, la réduction de l’impôt sur les sociétés, cela diminue les prélèvements sur les entreprises et le capital de plusieurs milliards d’euros par an [3].
Pour justifier ces mesures, M. Macron reprend les arguments libéraux, connus de longue date :
- « une fiscalité qui incite à investir son argent dans les entreprises » ;
- « récompenser ceux qui réussissent. Car l’économie de l’innovation a besoin de talents ! »
Partout où ces mesures ont été appliquées, elles ont donné lieu à une hausse des inégalités. Et c’est ce qui risque de se produire en France.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), presque la moitié des « gains » des mesures fiscales programmées par le gouvernement va profiter aux 10 % et particulièrement aux 1 % des plus riches [4].
Or, de nombreuses études montrent que les inégalités entravent l’activité économique et l’emploi. Ainsi, les travaux récents du Fonds monétaire international (FMI) portant sur plusieurs pays développés et en développement confirment que « le creusement des inégalités met en danger une croissance économique durable » [5].
Une refonte de la Sécurité sociale
Pour « mieux récompenser le travail », le président de la République propose un changement profond de la Sécurité sociale.
Actuellement, le système est fondé sur les cotisations assises sur le travail. M. Macron souhaite le rapprocher du modèle fondé sur la « solidarité » via l’impôt : « la maladie et le chômage ne sont en effet plus des risques personnels sur lesquels on s’assure par la cotisation sur le travail, ce qui était la base du contrat de 1945. Ce sont des risques sociétaux qui justifient la solidarité nationale. Il faut donc les financer par l’impôt, la CSG, et non par des cotisations sur le travail. »
Cette présentation est totalement biaisée en faveur des entreprises, car celles-ci ont une grande responsabilité dans le chômage et les maladies professionnelles. Dissocier ces « risques sociétaux » du travail consiste en fait à dédouaner les entreprises en la matière.
Le système que M. Macron veut mettre en place, accroît la présence des acteurs privés dans le domaine de protection sociale. Ainsi, la retraite par capitalisation sera de plus en plus promue aux dépens du système actuel.
Le développement des marchés financiers
Sous l’influence de l’idéologie libérale, le mode de financement de l’économie française a été largement modifié au cours des trois dernières décennies. En particulier, le taux de rentabilité exigé par les marchés financiers est devenu le facteur clé des financements.
Cette obsession de rentabilité pénalise des pans entiers de l’activité économique jugés pas assez rentables. Cette même obsession explique aussi les difficultés des PME-PMI à obtenir des financements nécessaires, notamment via le système bancaire.
- Macron veut aller plus loin et renforcer la place des marchés financiers dans le financement de l’économie : « une deuxième condition pour tirer pleinement avantage de cette économie des compétences et de l’innovation : changer le financement de notre économie. Il est pour cela crucial de donner les bonnes incitations aux acteurs économiques. Cette autre révolution va commencer à être mise en œuvre dès 2018. Le cœur en est le relèvement forfaitaire unique de 30 %, qui remplace tous les impôts et charges sur les revenus du capital. Car on a besoin du capital dans l’entreprise, dans l’innovation. Or, aujourd’hui, notre fiscalité et notre régulation financière favorisent beaucoup trop le financement de la dette de l’Etat et des entreprises, et pas assez le financement des entreprises et de leurs fonds propres. Je veux une fiscalité qui incite à investir son argent dans les entreprises, dans l’économie réelle, celle qui crée de l’activité et des emplois, pour laquelle le financement par la dette n’est pas approprié car le niveau de risque est trop élevé. »
Ce discours correspond à la vision libérale du financement de l’économie. Et contrairement aux postulats de l’économie libérale, le développement des marchés financiers en France n’a ni permis de résoudre le problème de financement des entreprises, notamment les PME, ni de réduire le coût de financement de l’activité économique. Au contraire, le financement de l’activité économique est devenu plus onéreux du fait de la hausse du coût du capital. En particulier, le financement des PMEPMI est devenu plus problématique.
Une mise en concurrence des travailleurs et des retraités
- Macron reprend à son compte l’analyse libérale selon laquelle il y aurait deux catégories d’individus : les « protégés » (insiders) et les « laissés pour compte », les exclus (outsiders).
Selon cette conception, les protégés seraient les fonctionnaires et les salariés du secteur privé ayant un CDI. Les autres, précaires, chômeurs, jeunes, peu-qualifiés seraient des « exclus ». Parmi ces derniers, le président mentionne également les « immigrés ou descendants d’immigré ».
Paradoxalement, cette classification néglige les riches.
Cette vision biaisée est à la base d’une série de mesures qui mettent en concurrence salariés, chômeurs, jeunes et retraités : « Les pauvres d’aujourd’hui sont souvent moins les retraités que les jeunes. Je leur demande donc, pour les plus aisés, un effort (…) Et leur effort permet de récompenser le travail ».
Ainsi, M. Macron met en opposition deux catégories de la population : d’un côté, jeunes et peu qualifiés ; d’un autre côté, « retraités aisés ». Et par « retraités aisés », il entend ceux dont la pension est supérieure à 1 200 euros par mois pour une personne seule et 1 800 euros pour un couple !
Quid alors des milliardaires comme Arnault, Bettencourt, Pinault… ? ; ou des détenteurs de capitaux, à l’instar des actionnaires des sociétés du CAC 40 qui ont engrangé 50 milliards de bénéfices nets au premier semestre 2017, en hausse de 22 % sur 2016 ? ; ou encore des chefs d’entreprises comme Carlos Ghosn dont le salaire mensuel est l’équivalent de la pension de 1 000 « retraités seules aisés » gagnant 1 200 euros par mois ?
Des privatisations qui ne disent pas leur nom
A défaut de rompre avec les politiques contestées des gouvernements précédents, l’équipe MacronPhilippe, opère un changement de formules.
Les Français n’aimeraient pas la réforme ? Qu’à cela ne tienne ; on utilisera désormais un autre mot : « transformation ».
Les privatisations ne sont pas bien vues par les Français ? Qu’à cela ne tienne ; on dira désormais : « cession de participation ».
En effet, le gouvernement projette de « céder » 10 milliards d’actifs de l’Etat. Peu importe l’intitulé ; il s’agit de privatisations, fût-il partielles, avec des conséquences négatives sur la qualité des services et/ou sur la situation des salariés des entités privatisées, comme le montrent les expériences du passé.
Cet appel à la privatisation va de pair avec la déréglementation et la libéralisation. Et ce discours ne se limite pas au « marché du travail » ; il est aussi présent dans d’autres domaines, notamment la santé et le logement.
« Pour ce qui est de la santé, nous allons (…) décloisonner le public et le privé ».
S’agissant du logement : « il faut libérer le droit de l’urbanisme, les procédures, réduire les coûts, les normes, libérer le foncier public et parapublic plus fortement en permettant de vendre à bas prix, simplifier ces règles en ciblant en particulier les zones tendues, c’est-à-dire le Grand Paris, Lyon et la frontière suisse, ainsi qu’Aix-Marseille. Dans ces endroits-là, nous allons mettre en place un système d’exception pour réduire les coûts. »
Cette vision explique, entre autres, la baisse récente et future de l’APL. En effet, le Président confirme que l’APL va baisser encore à l’avenir.
L’emprise des crédos jupitériens de l’Europe libérale
Le Président de la République se défend de se voir comme Jupiter. En lisant l’entretien, on peut dire que si Jupiter il y a, il faut le chercher du côté des traités européens.
En effet, dans les propos présidentiels, ces traités apparaissent comme des crédos qu’il faut admettre quoi qu’il en soit.
A la question des journalistes : « Avez-vous hésité sur le respect de la règle des 3 % de déficit en fin d’année ? », le président répond : « A aucun moment (…) pour moi, ce n’est ni un totem ni un tabou. Cette règle a été définie à une autre époque et n’est pas économiquement la plus pertinente. Mais la France, deuxième économie de la zone euro, en procédure de déficit public excessif depuis 2011, estelle aujourd’hui bien placée pour la remettre en question ? Non. »
Cette emprise des crédos jupitériens des traités européens conduit à des décisions comme la baisse des dépenses publiques. Ainsi, 20 milliards « d’économies » sont programmées pour 2018 : 10 milliards sur l’Etat, 7 mds sur la Sécurité sociale et 3 mds sur les collectivités.
Ces coupes dans les dépenses publiques, opérées pour respecter les normes européennes, sont lourdes de conséquences économiques et sociales. On peut citer, par exemple, la baisse des emplois aidés dont on voit déjà le résultat dans de nombreux domaines, notamment au niveau des écoles, privées de moyens suffisants pour répondre aux besoins des élèves.
Le président de la Républiques insiste à juste titre sur le développement des « compétences »[6] ; cela nécessite de renforcer, notamment, les moyens du système éducatif dans sa globalité et ceux de la recherche fondamentale et appliquée. Des économies de dépenses sur des postes aussi décisifs hypothèquent l’avenir du pays.
S’agissant des dépenses publiques, il n’est pas inutile de mentionner le cas des dépenses militaires. Beaucoup d’encre a coulé au sujet de la réduction de 850 millions d’euros du budget du ministère de la Défense en 2017. Dans son entretien, le président de la République fait de la pédagogie en la matière, en rappelant que cette baisse sera effectuée à partir des crédits déjà gelés. Une telle pédagogie fait l’impasse sur un problème de fond, à savoir la hausse programmée des dépenses militaires de l’ordre de 2 milliards d’euros par an pendant ce quinquennat.
Pour transformer la société, une seule solution : mobiliser et lutter pour valoriser le travail
Sans surprise, les choix confirmés par le président de la république correspondent aux intérêts du capital.
Or, ces choix sont à l’origine des difficultés que connaît la France depuis de nombreuses années.
Ce n’est pas en renforçant de tels choix qu’on va « transformer » la société dans l’intérêt du monde du travail.
Contrairement à ce que propose l’équipe Macron-Philippe, ce n’est pas en donnant plus au capital et aux riches, et en affaiblissant les droits pour les travailleurs qu’on va mettre fin à ces difficultés.
L’avenir de la France dépend, entre autres, des dépenses pour le développement économique et social. Cela requiert d’accroître par exemple les dépenses de recherche-développement et les moyens de l’éducation nationale.
L’avenir de la France dépend aussi, de plus en plus, de sécurités et de droits pour les salariés, par exemple pour qu’ils puissent intervenir sur les choix stratégiques des entreprises.
L’avenir de la France nécessite aussi d’œuvrer pour la paix et le désarmement dans le monde.
Les choix opérés par le président de la République et son gouvernement ne sont pas à la hauteur de ces enjeux et des attentes des Citoyens.
Les salariés, les privés d’emploi, les retraités ont tout à gagner pour exiger d’autres choix.
C’est le sens de la journée de mobilisation et d’action du 12 septembre.
[1] Voir « Les lois qui protègent le travail sont aussi bonnes pour l’emploi et l’activité économique », note du Pôle économique, 16 août 2017.
[2] Le Medef revendiquait la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales patronales. Il se montre aujourd’hui hostile à cette transformation, sous prétexte que cette transformation alourdirait l’impôt sur les sociétés.
Il s’agit d’un chantage pour étendre le champ d’exonérations au-delà du plafond actuel.
[3] L’OFCE évalue la somme de ces cadeaux à 38 milliards d’euros sur le quinquennat. Dans la réalité, ce montant peut être plus important. Rien que la transformation de l’ISF conduit à une baisse de l’actuel impôt de 4 milliards par an.
[4] OFCE, « Evaluation du programme présidentiel pour le quinquennat 2017-2022 », Policy Brief, 25, juillet 2017.
[5] « Les travaux du FMI sur les inégalités : un lien entre la recherche et la réalité », IMFDirect, 22 février 2017.
[6] L’usage de cette notion fait débat au sein du mouvement social, sans doute parce que le patronat a voulu lui donner un contenu biaisé ; voir « Pourquoi s’emparer de la notion de compétence(S) », Note économique, N° 82, 2004.