COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Montreuil, le 20 octobre 2017

Constatant que les ordonnances Travail portent gravement atteintes à des droits et libertés fondamentaux des salariés, reconnus par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, la CGT a saisi le 17 octobre le Conseil d’État, juridiction chargée du contrôle des ordonnances avant leur ratification.

Dans le cadre de la lutte globale de la CGT contre les ordonnances Travail, ce recours a pour objectif de contester l’ordonnance relative à la négociation collective.

D’autres recours seront déposés dans les semaines à venir contre l’ordonnance fusionnant les institutions représentatives du personnel et celle relative à la prévisibilité et sécurisation des relations de travail.

Les principales dispositions attaquées sont l’inversion de la hiérarchie des normes, les accords dits de « compétitivité » et le référendum d’entreprise. Les recours à venir porteront, quant à eux, notamment sur la barémisation des indemnités prud’homales, la disparition possible des délégués syndicaux de l’entreprise ou, encore, la disparition du CHSCT.

L’ordonnance relative à la négociation collective est facteur de flexibilisation et de précarité pour les salariés. Elle permet, entre autres, de déroger au Code du travail et aux accords de branche dans un sens toujours plus défavorable aux salariés ; elle s’attaque au contrat de travail, dernier rempart des salariés pour s’opposer à leurs employeurs ; elle offre à ces derniers de nombreux outils leur permettant d’arriver à leurs fins quand bien même les syndicats majoritaires dans l’entreprise seraient opposés à son projet… La liste est longue ! Ces ordonnances sont porteuses de graves régressions sociales. Elles ne reviennent pas seulement sur des droits durement acquis mais creusent également des inégalités déjà trop importantes. C’est pourquoi tous les moyens de s’y opposer doivent être mis en œuvre, qu’il s’agisse de se mobiliser dans la rue, aujourd’hui 19 octobre, ou devant les tribunaux.

Sur la procédure

Selon l’article 38 de la Constitution, « le gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Cela suppose le respect d’une certaine procédure :

  • Le vote par le Parlement d’une loi d’habilitation
  • La publication par le gouvernement d’ordonnances ayant valeur réglementaire
  • Le vote par le Parlement d’une loi de ratification, donnant aux ordonnances une valeur législative

Les ordonnances Macron ont été publiées par le gouvernement mais elles n’ont pas encore été ratifiées. Elles sont donc entrées en vigueur, mais n’ont qu’une valeur réglementaire et non législative. Par conséquent, leur contestation ne peut avoir lieu devant le Conseil constitutionnel, qui juge la conformité constitutionnelle des lois. Les ordonnances peuvent néanmoins être contestées devant le Conseil d’État.

Le Conseil d’État peut être saisi par le biais de plusieurs procédures dont le « référé suspension ». Afin de s’assurer d’une action et d’une décision de justice rapide, la Confédération s’est orientée vers ce type de référé. Il s’agit, en effet, d’une procédure d’urgence permettant de suspendre l’exécution d’une décision administrative (telle qu’une ordonnance).

Lorsque le projet de loi de ratification des ordonnances aura été adopté par le Parlement, ce qui pourrait avoir lieu dans les mois à venir, les ordonnances prendront valeur de Loi. À ce moment, d’autres recours pourront être engagés afin de faire contrôler, par le Conseil constitutionnel cette fois-ci, la conformité des ordonnances aux normes supérieures que sont la Constitution, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les conventions de l’OIT, etc.

Sur les dispositions attaquées

Inversion de la hiérarchie des normes

L’ordonnance réorganise l’articulation entre la loi, les accords de branche et les accords d’entreprise. Elle s’inscrit dans la continuité de la loi El Khomri : elle procède à la généralisation de l’inversion de la hiérarchie des normes ; elle renvoie à la négociation collective de branche certaines normes auparavant régies par la loi ; elle donne primauté à l’accord d’entreprise sur la quasi-totalité des thèmes du droit du travail (l’accord de branche ne prime plus que sur un nombre restreint de thèmes). Ce type de mesures, déjà expérimenté dans certains pays européens, conduit à une précarisation toujours plus grande des salariés. Ce recours quasi systématique à l’accord d’entreprise, permettant l’adoption de normes moins favorables aux salariés que les normes légales, tout en conduisant à une éviction des syndicats, s’oppose notamment aux conventions 87 et 98 de l’OIT, comme l’OIT a déjà pu le juger, en 2012 dans une affaire grecque.

Organisation internationale du travail (OIT), « Rapport annuel du Comité de la liberté syndicale », 2012 :

« Les procédures qui favorisent systématiquement la négociation décentralisée [au niveau des entreprises], de dispositions dérogatoires dans un sens moins favorable que les dispositions du niveau supérieur [au niveau de la branche ou de la loi] portent atteinte à la liberté syndicale et de la négociation collective consacrées par les conventions de l’OIT. »

Sur les accords de compétitivité

L’ordonnance généralise le recours aux accords de compétitivité (introduits par les lois de sécurisation de l’emploi de 2013 et El Khomri de 2016), permettant ainsi aux employeurs de conclure des accords collectifs imposant aux salariés de renoncer à des avantages, même inscrits sur leur contrat de travail (accepter de travailler autant pour un salaire moindre, de travailler plus pour un même salaire, etc.).

Ce type d’accord pourra être conclu en toute situation, peu importe que l’entreprise connaisse ou non des difficultés économiques. On impose donc aux salariés de faire des concessions dans le but d’enrichir les dirigeants et sans garantie d’une quelconque contrepartie.

En outre, les salariés qui refuseraient la modification de leur contrat de travail pourraient être licenciés pour un motif spécifique. Or, ce dispositif, en imposant la modification d’une convention légalement conclue (le contrat de travail) porte atteinte à la liberté contractuelle, consacrée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 décembre 2000. Concrètement, les salariés ont accepté de travailler dans une entreprise pour une certaine durée de travail et un certain salaire ; il est scandaleux et inacceptable que ces éléments clés du contrat de travail puissent être modifiés par la suite. De plus, l’incertitude qui règne autour du motif de licenciement et l’impossibilité effective, pour un salarié, de contester son licenciement, rend le dispositif contraire à la convention 158 de l’OIT.

Article 4 de la convention 158 de l’OIT :

« Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. »

Article 8 :

« Un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal, un tribunal du travail, une commission d’arbitrage ou un arbitre. »

Par ailleurs, l’ordonnance facilite le recours, par l’employeur, au référendum comme méthode de validation des accords collectifs. Sous ses apparences démocratiques, c’est en réalité un outil à la disposition de l’employeur, permettant de forcer la main aux salariés : le référendum contourne complètement les syndicats. Le référendum, tel qu’organisé par les ordonnances Macron, porte atteinte à la liberté syndicale consacrée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 novembre 1996 ainsi qu’aux conventions 87 et 98 de l’OIT relatives à la liberté syndicale et la négociation collective.

Le référendum est de plus un outil dangereux, comme l’a démontré l’affaire Smart : plusieurs salariés de l’entreprise ont témoigné avoir fait l’objet de pressions et de menaces de licenciement lors d’un référendum organisé en 2016.

Décision du Conseil constitutionnel du 6 novembre 1996 :

« Les organisations syndicales ont vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs. »