Le système de retraites par répartition, un conquis social à défendre : rappel historique et principes élémentaires

Le système de retraite par répartition conquis en 1945 avec la construction de la sécurité sociale reste une composante majeure du modèle social français malgré des attaques incessantes des gouvernements successifs depuis sa mise en place.
Emmanuel Macron veut imposer un nouveau recul de l’âge de départ en retraite, associé à une accélération de l’augmentation de la durée de cotisation, déjà engagée par la loi Touraine, du nom de cette ministre socialiste sous présidence Hollande. Dans le même temps, il s’attaque aux régimes spéciaux, dont le nôtre, celui des IEG, en prévoyant que les nouveaux recrutés n’y aient plus accès à partir de septembre (c’est la clause du grand-père).
C’est dans un contexte social déjà dégradé par la baisse du pouvoir d’achat et alors que d’autres urgences existent que l’exécutif met le feu aux poudres avec cette réforme injustifiée sur le plan de l’équilibre financier et injuste socialement. L’exécutif a d’ailleurs totalement échoué à convaincre l’opinion : une très forte majorité des Français, et en particulier plus de 93% des actifs y sont opposés. Après avoir dû enterrer sa retraite à points sous la pression de la rue, il revient donc à la charge avec une réforme paramétrique. Il a d’abord expliqué que l’argent récupéré servirait à financer le plan dépendance pour les personnes âgées. Puis quelques mois plus tard, il s’agissait d’investir dans l’éducation, la transition écologique et l’hôpital. Puis il s’est finalement rabattu sur le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) alors que celui-ci ne démontre absolument pas une situation alarmante et même un retour à l’équilibre en 2070 !

Face à toutes ces informations contradictoires, de guerre des chiffres, de vocabulaire sibyllin et de données techniques, la CGT vous donne quelques éclairages et clarifie le vocabulaire.

Age légal de départ à la retraite

L’âge minimum de départ à la retraite, aussi appelé âge légal, est l’âge à partir duquel un travailleur a le droit de partir en retraite. Depuis 2010 il est de 62 ans. Avant cet âge, il ne peut pas toucher de pension de retraite, sauf cas particulier, tel que les carrières dites longues (plusieurs années de travail avant 20 ans).
La réforme prévoit que cet âge passe à 64 ans. Ces deux ans de perdus à la retraite, représentent environ, en moyenne, 10% du temps de retraite en moins !

Durée de cotisation

La durée de cotisation correspond au nombre d’années de cotisation nécessaires pour partir avec une retraite à taux plein. Il est néanmoins possible de partir en retraite avant d’avoir cotisé le bon nombre d’années (de liquider ses droits), dès lors que l’on a atteint l’âge légal de la retraite, mais le montant de la retraite est alors proratisé en fonction du nombre d’années de cotisation et amputé de 5% par année manquante (décote) et jusqu’à 25% maximum (pour 5 années et plus manquantes).
La contre-réforme Touraine de 2014 prévoit qu’à partir de 2020 la durée de cotisation passe progressivement (1 trimestre par 3 ans) de 42 ans à 43 ans en 2035. La réforme voulue par le gouvernement aujourd’hui prévoit d’accélérer le passage à 43 ans de manière progressive dès septembre 2023. Elisabeth Borne a redit que 43 années seraient nécessaires pas plus…quid des travailleurs qui ont débuté leur activité professionnelle à 20 ans, 64 – 20 = 44 pas 43. Le projet prévoit que ceux qui ont des carrières longues comme ceux qui ont débuté à 18 ans, pourraient partir plus tôt, à 60 ans … à condition d’avoir cotisé 44 annuités ! Une injustice supplémentaire.

Régime par répartition

C’est un système solidaire qui a fait ses preuves et qui échappe au système financier. Le financement de nos retraites est assuré collectivement par des cotisations salariales obligatoires (prélevées sur les salaires) et des cotisations patronales (référence au salaire super brut).

Ces cotisations servent en temps réels à payer les pensions de ceux qui sont déjà en retraite ; les actifs se constituant ainsi leurs propres droits qu’ils feront valoir au moment de prendre leur retraite. L’argent issu des cotisations ne transite pas par les marchés financiers évitant ainsi que cet argent accentue la financiarisation de notre société et soit soumis à des pertes financières liées aux fluctuations des marchés financiers. Il est important de préciser que les cotisations (part salariale comme patronale) sont partie intégrante de nos salaires, il s’agit du salaire dit socialisé.

Ce système est solidaire entre générations, puisque chaque génération finance la retraite des générations précédentes, mais aussi entre les individus.

Les droits ne sont pas strictement proportionnels aux cotisations versées, car ils intègrent aussi des mesures de solidarité (majoration de durée et de montants selon les situations). Ce système contribue ainsi à neutraliser l’impact des accidents ou des interruptions de carrières subis, tels que le chômage, la maladie, la maternité, l’invalidité ou même l’éducation des enfants puisque toutes ces périodes ouvrent des droits à retraite.

Non seulement ce système est juste et équitable, à condition que les cotisations des employeurs ne diminuent pas, mais il est également d’une fiabilité sans pareille puisqu’il repose sur l’ensemble des richesses créées chaque année dans le pays, ce qui en garantit la pérennité dans le temps.
La France, contrairement à beaucoup de pays européens, a fait le choix de faire reposer entièrement son système de retraite sur la répartition (pour le régime de base et la complémentaire obligatoire). Dans les autres pays, le système de retraite par répartition cohabite avec un système de retraite par capitalisation. Et ce choix en France de la répartition s’est avéré judicieux puisque le niveau de vie des seniors en France, rapporté au niveau de vie de l’ensemble de la population, reste le meilleur d’Europe.

Crise après crise, notre système de retraite montre toute sa pertinence et sa résilience et fait la démonstration que le système par répartition est bien meilleur que le système par capitalisation.

Retraite par capitalisation

Il est basé sur la capacité des salariés à épargner pour leur compte strictement personnel et individuel, via des systèmes de retraites complémentaires, pour tenter de maintenir leur niveau de vie à la retraite. Dans une telle approche, Exit les plus précaires, les plus fragiles, ….Ce système est une véritable aubaine pour les assureurs et les banquiers qui lorgnent sur cet énorme marché extrêmement lucratif pour eux. En 2021, les 345 Mds d’€ de dépenses des retraites représentaient 13,8% du PIB français. Grapiller, même une petite part de ce magot, est leur rêve à peine secret.

Système de retraites actuel en danger financier grave ou imminent ?

Quand un gouvernement veut réformer les retraites, il ne peut décemment pas dire qu’il veut baisser les droits à retraite. Il utilise donc toujours le même argument qui consiste à dire que l’équilibre financier du régime est en danger. Si, par le passé, cela a pu parfois être vrai, aujourd’hui ce n’est pas absolument pas le cas. Selon le conseil d’orientation des retraites (COR), notre système de retraite n’est pas en danger, il est même excédentaire cette année et l’année prochaine, puis il serait en très léger déficit pour les 10 à 15 ans à venir.
Selon Elisabeth Borne ce déficit serait de l’ordre de 13 milliards d’euros. Cette somme peut sembler énorme, mais en réalité, à l’échelle de ce que représente le financement des retraites à savoir 345 Mds d’€ en 2021, c’est finalement assez peu. Ramené à l’échelle d’un budget familial, ce serait un découvert d’une centaine d’€ par mois.
Par ailleurs, selon les calculs du COR, il suffirait d’augmenter les taux de cotisation de moins d’un pourcent dans le pire scenario de croissance, pour équilibrer les comptes à horizon 2050. La perspective à long terme n’a donc rien d’alarmant contrairement à ce que voudrait nous faire croire ce gouvernement.
En premier lieu, il faudrait supprimer les 78 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales accordée aux employeurs par l’Etat en 2022 (en 2023, ce sont plus de 84 milliards d’euros d’exonérations sociales qui sont prévus, en hausse de 7,4 %). Cela permettrait d’équilibrer toutes les caisses de retraites et même de revenir à une retraite à 60 ans, sans décote et 40 annuités de cotisation.

Le régime spécial des IEG

Les salariés des entreprises de production et de distribution de gaz et d’électricité disposent d’un régime spécial de retraite depuis 1946. Ce régime est géré par la Caisse nationale des Industries électrique et gazières (CNIEG) depuis 2005 suite au changement de statut des entreprises de la branche et à l’adossement du régime spécial au régime général. Il a subi plusieurs réformes successives en 2008, 2010 et 2014. Nous ne rentrerons pas dans le détail de son fonctionnement économique.
313 783 personnes sont concernées par la CNIEG au 1er janvier 2019 (cotisants et pensionnés) dont environ 135000 cotisants. Les règles « paramétriques » qui s’appliquent dans le régime général s’appliquent au régime spécial, l’âge de départ (mis à part pour les agents ayant une reconnaissance de service actif), nombre d’années de cotisation exigées (la réforme de 2008 a entériné le passage de 37,5 ans de cotisation à 42 ans pour les agents des IEG pour bénéficier d’une retraite à taux plein), application de décote et surcote, mais le régime spécial conserve des spécificités significatives, favorables aux salariés.
Les salariés paient une cotisation sur leur salaire et primes. Son taux s’élève à 12,78 %. Les cotisations des employeurs représentent de l’ordre de 30% du salaire hors primes. Celles-ci sont ajustées en fonction du besoin chaque année de manière à équilibrer le système. De plus, afin de diminuer la participation des employeurs des IEG au régime spécial de retraite, a été créée, en même temps que la CNIEG et le changement de statut des entreprises de la branche, la taxe « CTA », comprises dans les factures des usagers, pour assurer le versement des droits spécifiques du régime spécial aux retraités des IEG. Cela a été sans conséquence sur les montants des factures des usagers, parce que concomitant à une baisse du tarif de l’électricité (du fait de la diminution des cotisations patronales pour le régime spécial).
Pour comparaison, dans le régime de droit commun, il est difficile d’avoir un taux global, du fait qu’est appliqué un taux par tranche de revenus. Les cotisations (sur salaire et primes) sont entre 10 et 12% pour les salariés et de 16 à 20% pour les employeurs.
Pour avoir droit à une pension de retraite des IEG, il faut y avoir validé au moins 1 an de services. Mais il faut 15 ans de service pour continuer de bénéficier du régime CAMIEG, de la CCAS ou du tarif particulier de l’électricité.
Cette pension est calculée à partir du salaire brut (y compris majoration résidentielle et 13eme mois) des 6 derniers mois, au prorata du nombre de trimestres cotisés dans le régime. Si le nombre de trimestre cotisé est inférieur au nombre de trimestre exigé, la pension est donc proratisée et une décote supplémentaire s’applique.

Comme dans le régime général, la pension brute est calculée selon une formule du type :

Pension = Salaire de référence x (durée de cotisation* / durée requise) x taux de remplacement x (1+ surcote ou -décote)**

* nombre d’annuités ou de trimestres acquis augmenté des périodes « assimilées » (maternité, chômage …) qui sont des droits collectifs de solidarité pour palier les aléas de carrière qui peuvent donc majorer les pensions
** décote de 1,25% par trimestre manquant! Surcote de 1,25% par trimestre en plus.
Dans le régime spécial, un trimestre est validé lorsqu’il est intégralement travaillé, alors que dans le régime général, un trimestre est validé dès qu’un plafond de revenu est atteint sur un trimestre.

Les principaux droits spécifiques associés au régime spécial sont :

  • Le calcul de la pension sur la base des 6 derniers mois de salaire brut (hors primes sauf majoration résidentielle et y compris 13eme mois) ; alors que dans le régime général, le salaire de référence est établi sur la base des 25 meilleures années, primes comprises (toujours en brut).
  • Le taux de remplacement est de 75% alors qu’il n’est que de 50% dans le régime général (pour un salaire n’excédant pas 2 fois le salaire de référence de la sécurité sociale). Les retraites du régime général sont complétées par des retraites complémentaires dépendant des catégories de salariés (AGIRC-ARRCO pour les cadres). Celles-ci versent un complément dans l’idée d’atteindre, en cas de carrière complète, un taux de remplacement (rapport entre pension de retraite et salaire de référence) cible d’environ 75% également. Mais les caisses de retraite complémentaires ont progressivement adopté un fonctionnement par « point » (similaire à la retraite par points que voulait mettre en place Macron en 2019) qui conduit à une absence de visibilité des salariés sur leur futur montant de retraite et une diminution des prestations, à cotisation équivalente, est constatée dans la période récente.
  • La reconnaissance de la pénibilité : il est possible d’anticiper le départ en retraite de 5 ans pour les agents ayant 17 ans de services « actifs » reconnus ; Depuis 2008, des régressions importantes de la pénibilité sont à déplorer, avec l’augmentation du nombre d’années de service actifs nécessaires pour bénéficier d’une anticipation du départ en retraite et en terme de bonification des années de service actif mais cette reconnaissance continue d’être très supérieure à celle en place dans le régime général ;
  • La pension de réversion : Lorsqu’un salarié des IEG, en service ou retraité, décède, la moitié de la pension de retraite est reversée au conjoint survivant sans conditions de ressources ;
    Le régime spécial assure aussi une protection pour les agents rencontrant des situations de type « accident de la vie » :
  • Des droits spécifiques en cas de handicap de l’agent : anticipation de départ et majoration de durée cotisée.
  • Des droits spécifiques en cas de handicap de l’un de ses enfants : majoration de pension améliorée, majoration de la durée d’assurance, possibilité de départ anticipé, pas de limite d’âge pour la pension temporaire d’orphelin et la réversion accordée aux orphelins de moins de 21 ans ;
    Adossé à ce régime spécial retraite s’applique aussi un régime spécial de droits « santé » tout au long de la carrière avec en particulier, une indemnisation maladie nettement plus favorable que dans le régime général (pas de jour de carence, congé maternité plus long que dans le régime général, maintien de la rémunération intégrale pendant 3 ans en cas de longue maladie,…).

Pour la CGT, le régime spécial des IEG, pionnier et avant-gardiste par les droits qu’il garantit, doit servir de référence pour améliorer l’ensemble du système de retraites.

Que signifie « la clause du grand père » ?

Tous les actifs embauchés jusqu’au 31 aout 2023 resteraient affiliés au régime IEG et auraient une retraite selon les règles statutaires. Seuls les nouveaux embauchés à compter du 1er septembre 2023 sortiraient du régime de retraite des IEG et seraient directement affiliés au régime général. Ces nouveaux embauchés n’accéderaient pas à non plus à notre régime spécial de santé et à nos droits spécifiques en termes d’arrêt maladie en particulier. La sortie de ces futurs embauchés entrainerait ainsi inéluctablement de graves conséquences pour l’ensemble du Statut, y compris en matière de rémunération, de déroulement de carrière. Cela introduirait très rapidement une situation de “double statut social”, une mise en concurrence des agents entre eux. A moyen terme, le statut serait en danger avec un déséquilibre du financement des retraites et du régime de protection sociale. Comment croire, aussi, que le financement des activités sociales, déjà mis à mal actuellement, pourrait y survivre ?
Il faut évoquer aussi que la disparition du statut pour les nouveaux embauchés risque de marquer la fin du service public de l’électricité, que défend la CGT sans relâche depuis la fin du monopole public de l’entreprise publique EDF-GDF en 1999, et qui est un autre enjeu particulièrement d’actualité dans cette période de tension sur le réseau électrique, d’explosion des factures pour les usagers et de nécessaire transition énergétique…

Futurs embauchés, mais aussi actifs et retraités actuels sont donc tous concernés !

Pour défendre le système de retraite actuel et imposer d’autres choix, mobilisons-nous le 19 janvier 2023.
En Grève et en manifestation !